Un soir, pour des raisons que je garderai pour moi, j’ai eu des relations sexuelles consenties non-protégées, sous l’influence de stupéfiants, avec deux hommes que je ne connaissais pas et que j’ai rencontrés sur une application de rencontre gay très connue.
Le lendemain matin, après un réveil difficile, je prends conscience de la situation dans laquelle je suis. Connaissant l’existence d’un traitement disponible sur le marché et permettant de limiter les risques contracter le VIH suite à des rapports à risques, je décide de contacter Sidasol. Il s’agit d’un organisme de santé liégeois qui travaille, entre autres, avec les HSH (Hommes ayant des relations Sexuelles avec d’autres Hommes). Au vu de mon histoire, ils me conseillent fortement de me rendre aux urgences pour recevoir ledit traitement appelé TPE (Traitement Post-Exposition au VIH). Je décide donc de me rendre accompagné d’une proche à l’hôpital de la Citadelle de Liège. La situation que j’y ai vécu au service des urgences a été pour le moins surréaliste…
Tout commence à l’accueil, comme me l’avait conseillé l’employé de chez Sidasol je dis être là pour un « TPE », comme la personne face à moi me regarde interloquée je complète
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« TPE VIH »
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« … »
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« Traitement post exposition VIH »
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« … »
Dans une salle avec une dizaine de personnes juste derrière moi, j’explique brièvement avoir eu des relations sexuelles non-protégées et que j’aimerais dès lors rencontrer un infectiologue. A cet instant déjà, je pense qu’une personne peu sûre d’elle ou peu soutenue aurait peut-être déjà abandonné… La suite est malheureusement encore plus interpellante…
On m’envoie dans une des salles d’attente des urgences et je dois à nouveau expliquer pourquoi je suis là. La réceptionniste ne voit manifestement pas du tout de quoi je parle. Elle me demande d’expliquer ce qui m’est arrivé. Me demande à haute et intelligible voix :
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« Mais cet homme, il a le sida ? »
La quinzaine de personnes présentes dans la salle d’attente à ce moment là peut largement profiter de notre conversation. Elle me dit qu’elle ne comprend pas la raison de ma présence compte tenu du fait que je ne sais pas si mes partenaires étaient séropositifs. De surcroit, elle crie dans le bureau pour savoir si un-e de ses collègues connaitrait la procédure dans ces cas-là.
Après plusieurs minutes d’attente, je suis reçu par une jeune stagiaire – adorable, certes ! – mais qui ne connaissait pas l’existence du TPE. N’étant pas expert du sujet mais en tout cas plus informé qu’elle, je lui explique brièvement en quoi cela consiste et lui raconte ce qui m’est arrivé. Ne sachant pas très bien quoi faire, elle me pose des questions complètement inappropriées (et sans rapport aucun avec la situation qui nous occupe) et s’étonne elle aussi que je me rende aux urgences si mes partenaires ne m’avaient pas dit explicitement qu’ils étaient séropositifs. Comme si le VIH ne se transmettait que par des personnes connaissant leur statut sérologique et que, dans le doute, on partait du principe qu’ils étaient séronégatifs… Passons.
Je suis ensuite reçu par une médecin qui m’informe qu’elle a contacté l’infectiologue de garde qui a décidé, au vu de mon récit, que « les risques pris ne sont pas suffisants pour m’administrer le TPE ». Pardon ? J’ai du mal à comprendre, en tant que HSH, ayant été pénétré sans préservatif par deux hommes dont je ne connais pas le nom et sous l’effet de stupéfiants, les risques pris ne sont « pas assez importants » ? Que leur faut-il de plus ? Une partouze avec 40 personnes où l’on s’échange des seringues ? La seule chose qu’ils peuvent me conseiller est de « faire une prise de sang dans 6 semaines ». Et si j’apprends dans 6 semaines que j’ai le VIH ?
Après un nouveau coup de téléphone chez Sidasol, on me conseille de ne pas baisser les bras et de me rendre dans un autre hôpital.
Je me rends donc tout de suite aux Bruyères… Le jour et la nuit. Le contraste est saisissant !
J’y trouve un accueil chaleureux où la réceptionniste ne pose aucune question et sait de quoi je parle quand je lui dis que je viens pour une consultation en urgence TPE. Même chose pour l’infirmier. Même chose pour le médecin. Compétents, à l’écoute, efficaces et bienveillants.
Après quelques minutes, le jeune médecin me dit que je rentre totalement dans les critères pour recevoir le TPE, il me demande si je désire prendre ce traitement et que dans l’hypothèse où je suis d’accord, il va me fournir les premiers comprimés dont le premier est à prendre tout de suite.
Tout aurait été parfait si, au moment de la prise de sang, une infirmière ne m’avait pas dit « j’espère que ça vous servira de leçon » et qu’elle « ne me jugeait pas mais me donnait simplement un conseil ». Je suis à nouveau frappé par le fait que des soignants, ne me connaissant pas, ne connaissant pas mon histoire, se permettent de prononcer ce genre de petites phrases particulièrement destructrices dans ce type de situation.
4 jours plus tard, j’ai rendez-vous au centre de référence Sida de Liège au Brul. La consultation avec la docteur Françoise Urlings – qui est une perle, pleine de bienveillance, extrêmement compétente et particulièrement efficace – confirma que « mon cas » correspondait bien à une situation prévue dans les protocoles et je reçois dès lors les médicaments pour 24 jours supplémentaires.
Pourquoi partager avec vous tout ceci aujourd’hui ?
Dans le cadre du TPE, comme dans bien d’autres problématiques en médecine, des guidelines existent. Ces protocoles permettent aux médecins de prendre des décisions dans des situations précises. Dans mon cas, la situation est très claire : selon les guidelines, le traitement, dans ma situation est « à administrer » (sans discussion ou évaluation de la situation).
Plusieurs questions me viennent donc à l’esprit !
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Au-delà de l’accueil pour le moins discutable sur le plan éthique et du secret médical, comment est-il possible qu’une telle décision ait été prise à la citadelle par un INFECTIOLOGUE de garde ? Décision non remise en cause par le médecin qui me reçoit. Ces médecins (dont je tairais les noms ici, ce qui n’est pas le cas dans la lettre adressée ce jour à la citadelle) connaissent-ils le protocole à suivre dans ce genre de situation ?
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Si oui, pourquoi me refusent-ils le TPE et me conseillent-t-ils d’attendre 6 semaines et puis de faire une prise de sang ? Cela s’apparente à jouer à la roulette russe selon moi… Dans quel cas alors, administrent-ils le TPE ?
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Si non, n’est-ce pas profondément problématique ?
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De plus, je suis surpris par le fait qu’aucune précaution n’a été prise lorsque j’ai expliqué que j’avais eu des relations sexuelles à risques.
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Par cette lettre ouverte j’aimerais également mettre en lumière et saluer le travail des organisations comme Sidasol. Au-delà des conseils donnés par leurs employé-e-s, avoir une oreille attentive et quelqu’un à qui parler dans ce genre de moment est précieux. Je tenais également à saluer l’excellent travail du médecin des Bruyères, de la docteur Urlings et du centre de référence du Brul.
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Je partage également ce texte pour encourager les personnes à contacter des organisations comme Sidasol qui peuvent les conseiller et les réorienter lors d’une prise de risque et possiblement à se rendre aux urgences si cela semble nécessaire.
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Je suis la preuve qu’on peut être particulièrement sensibilisé à cette problématique, avoir du soutien, être « bien dans sa vie » et néanmoins avoir « un accident de parcours » qui nous mène dans une situation délicate. Personne n’est a l’abris et dans ce genre de situation il ne faut pas avoir honte ou peur de nos pratiques sexuelles et utiliser tous les outils dont la médecine dispose pour éviter le VIH. Le TPE en fait partie.
Que se serait-il passé si (1) je n’étais pas informé de l’existence de ce traitement ? (2) je n’assumais pas mon homosexualité ? (3) j’avais abandonné après le premier hôpital et appris dans 6 semaines que j’étais séropositif ?
Enfin, je souhaite recevoir une réponse de l’hôpital de la Citadelle et que des responsables m’assurent que des mesures ont été prises afin d’éviter qu’une autre personne se retrouve dans la même situation que moi. Sans ma persévérance, les conséquences auraient pu être bien plus importantes…
Source : Arc-en-Ciel Wallonie
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