La cérémonie de remise du Prix François Delor s’est déroulée ce mercredi 29 mars à 18h au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est Antoine Driesmans, qui a su convaincre les membres du jury avec un mémoire intitulé : « La psychiatrisation des transidentités : entre enjeux juridiques et exclusion sociale ». Voici le compte-rendu de l’échange qu’Arc-en-Ciel Wallonie a eu avec lui.
Bonjour, tu viens de remporter le Prix François Delor. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Je dois dire que lorsque j’ai appris la nouvelle, je suis passé par plusieurs sentiments :
J’ai d’abord été très étonné car je ne m’attendais pas du tout à remporter ce concours. Cette récompense était inespérée. C’est une victoire pour moi au vu de l’investissement personnel que cela m’a demandé. De plus, c’est très gratifiant que la tâche que j’ai effectué soit reconnue par le prix que je reçois car comme tout le monde le sait, nous avons tous, à un moment donné, besoin de reconnaissance.
Je suis assez fier d’avoir contribué, ne serait-ce qu’un minimum, à rendre plus visible et à légitimer les thématiques transidentitaires. Ces thématiques sont souvent mal comprises et les citoyens sont souvent mal et erronément renseignés. Je déplore que les droits humains des personnes transgenres soient si souvent bafoués. Il est également gratifiant pour moi que mon travail contribue à petit échelle à ce que cette minorité soit représentée, défendue et entendue.
Peux-tu nous parler en quelques mots de ton sujet de mémoire ? Qu’est-ce qui t’a motivé à traiter cette thématique ?
Le titre exact de mon mémoire est le suivant : « La psychiatrisation des transidentités. Entre enjeux juridiques et exclusion sociale. Quelle place pour l’autodétermination ? ». Comme le nom l’indique, je me suis focalisé sur la condition de psychiatrisation imposée par la loi de 2007 dites « relative à la transsexualité ». A la base, je voulais traiter de la condition de stérilisation également imposée par la même loi mais après plusieurs lectures et analyses, je me suis vite rendu compte que ce volet était déjà largement traité et remis en cause par les auteurs juridiques et d’autres sciences humaines. C’est pourquoi, j’ai décidé de me concentrer sur le volet « psychiatrisation » en accord avec ma directrice de mémoire, le professeur Isabelle Rorive.
J’ai commencé à m’intéresser à la thématique des transidentités en Master 1 grâce à mon cours de bioéthique dans le cadre duquel j’ai été amené à réaliser un petit exposé. À la lecture de la loi de 2007, en tant que fervent défenseur des droits de l’homme, j’ai très rapidement été choqué par les conditions imposées par le législateur. En plus, de créer des discriminations inacceptables entre les personnes trans elles-mêmes, cette loi contribue à accorder au psychiatre un pouvoir de décision dangereux et expose les personnes trans’ à l’exclusion sociale et à la précarité. Le diagnostic psychiatrique, en se basant sur des stéréotypes de genre, pourtant formellement interdits par le droit international, contribue à la déshumanisation des personnes trans qui se retrouvent prisonnières d’un parcours du combattant décourageant et dissuasif.
Comme je l’explique dans la première partie de mon mémoire, cette loi, en se reposant sur les principes de binarité, d’indisponibilité de l’état des personnes et d’essentialisme, témoigne du malaise et de l’ignorance de la population au sujet de cette thématique, généralement très peu comprise et stéréotypée.
Le but premier de ce travail a été de comprendre les raisons qui ont poussé le législateur a adopté cette loi inhumaine pour ensuite me concentrer sur les conséquences concrètes de son application. Dans une troisième partie, je me suis davantage inspiré du droit comparé afin de mettre en lumière des alternatives lesquelles sont de nature à favoriser l’autodétermination et à protéger plus adéquatement les droits fondamentaux.
Ton travail nous arrive à un moment opportun. Le Ministre de la Justice travaille sur un projet de loi dont on ne connait pas encore le contenu complet. Quel regard portes-tu sur cette actualité ?
Je suis bien entendu ravi de cette initiative concernant le projet de loi en examen. Toutefois, il n’en demeure pas moins que je reste inquiet quant au contenu de ce dernier. La société est à ce point imprégnée des fondements dont je vous parlais toute à l’heure que je doute que le projet sera une avancée certaine. J’admire le travail réalisé par les associations LGBTI qui se battent depuis un bon nombre d’années pour faire avancer les choses. Ça me donne envie d’être optimiste.
Comme je l’explique dans mémoire, j’aspire à ce que la loi favorise le droit à l’autodétermination des personnes transgenres comme c’est le cas en Argentine particulièrement. Premièrement, j’espère franchement que la nouvelle loi changera d’intitulé pour une dénomination moins stigmatisante. Deuxièmement, j’aspire également à ce que la condition de stérilisation soit définitivement éradiquée. Troisièmement, je souhaite que les conditions médicales et psychiatriques soient également bannies du droit belge. Enfin, j’espère que le droit de la filiation sera adapté. J’ai également entendu parler d’un mécanisme anti-fraude qui se tiendrait dans des auditions qui seront réalisées. Je suis un peu plus perplexe sur ce point. Je me demande si les fonctionnaires qui auditionneront les personnes transgenres seront formées en conséquence sinon, l’audition pourrait vite devenir un moment de torture psychologique pour les personnes. Si ce mécanisme en arrive à dissuader les personnes de modifier leur genre à l’état civil, je n’y suis pas favorable.
Ta démarche témoigne-t-elle d’un futur engagement envers les thématiques LGBTI dans la suite de ton parcours professionnel ?
Je suis quelqu’un d’engagé. Mais je pense que pour faire une analyse juridique, il est nécessaire de prendre du recul pour être certain d’appréhender le thème dans sa globalité et cerner tous les tenants et aboutissants. Comme ma directrice de mémoire me l’a dit lors de ma défense de mémoire, je pense avoir été assez objectif dans la réalisation de ce travail. Elle m’a dit également que j’avais réussi à prendre la hauteur suffisante pour analyser la thématique et je suis très satisfait de ça.
Concernant mon possible futur engagement envers les thématiques LGBTI, je ne peux pas vous le dire maintenant. Il est certain que j’aimerai être plus engagé de manière active mais je dois bien avouer que mon stage au barreau me prend pas mal de temps. Je fais principalement du droit des étrangers et je suis déjà engagé de ce côté mais j’aimerai m’investir davantage envers les thématiques transidentitaires et ainsi poursuivre mon engagement.
Propos recueillis par Arnaud Arseni
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