Retour sur le colloque « Transidentitaires, personnes ordinaires »

Retour sur le colloque « Transidentitaires, personnes ordinaires »

Ce 22 mars 2018, la Maison Arc-en-Ciel de la province de Luxembourg organisait un colloque sur l’application de la nouvelle loi relative au changement d’identité à Saint-Hubert. Avec plus de 70 participant.e.s et des intervenant.e.s de qualité, l’évènement fut un beau succès !

Cécile Artus, Présidente du CAL/Luxembourg, a tout d’abord introduit le colloque en mettant en lumière deux valeurs importantes dont chacun.e d’entre nous devrait disposer : la liberté et le choix. Dans cette perspective de choix et d’auto-détermination, le CAL/Luxembourg et la Maison Arc-en-Ciel soutiennent la mise en œuvre de la nouvelle loi qui représente une étape majeure pour les personnes transgenres dont le sexe ne correspond pas à leur conviction intime. Cependant, si par écrit, la loi semblait facilitatrice pour les démarches à effectuer, sur le terrain, elle a montré quelques lacunes.

Ces lacunes, Lola Nicolas, volontaire membre du groupe transidentitaire de la Maison Arc-en-Ciel a pu les vivre en accompagnant les personnes membres du groupe lors des convocations menées par la police (à noter que ces convocations systématiques sont dès à présent révolues suite aux plaintes portées par les associations LGBT auprès du Ministre de la Justice, seules les personnes ayant des antécédents judiciaires pourront faire l’objet d’une convocation au poste de police).

Lors du colloque, Lola Nicolas a présenté la Maison Arc-en-Ciel et les services qu’elle offre aux LGBT et à leurs proches depuis son agrément par la Région wallonne en 2016. La Maison Arc-en-Ciel, outre sa mission d’accueil, d’information et de sensibilisation à la lutte contre l’homophobie et la transphobie, soutient trois groupes porteurs : le groupe jeunes qui se réunit les mercredis, le groupe réfugiés LGBT et, enfin, le groupe transidentitaire. Ce lieu d’échanges et de soutien permet aux personnes de faire leur transition dans les meilleures conditions possibles.

L’intervention suivante fut celle d’Arnaud Alessandrin, docteur en sociologie à l’Université de Bordeaux, auteur de nombreux livres et articles sur le sujet des transidentités, du genre et des homophobies (dont « La transyclopédie » ainsi que directeur de la revue « Les cahiers de la LCD – Lutte Contre les Discriminations ». Retrouvez ses ouvrages à la Maison Arc-en-Ciel

Pour son intervention, il a peint un paysage : celui d’un glissement progressif dans la société allant d’une question médicale, pathologique, psychiatrique de la « transsexualité » – terme médical, négativement connoté apparu en 1953 – à une question politique et sociale des transidentités.

Si depuis quelques années, les questions trans commencent à s’inscrire dans les agendas politiques, médiatiques et scientifiques, le chemin à parcourir pour une reconnaissance pleine et entière des personnes trans est encore long. En effet, même si la visibilité est croissante depuis ces dernières années, elle ne s’accompagne pas toujours d’un meilleur traitement et d’une plus grande acceptation des personnes trans. Pour une meilleure acceptation des personnes trans mais pas uniquement… Arnaud Alessandrin a conclu son intervention sur l’importance des alliances entre les différents groupes de personnes (L, G, B, T, hétéros…) dans les combats à mener pour faire avancer les droits de toutes et tous!

Parmi les combats à mener, notons celui des personnes intersexes qui bénéficient de la nouvelle loi si l’identité de genre assignée à leur naissance ne leur convient pas. Parce que leur identité de genre, les personnes intersexes ne la choisissent pas!

Kris Günther, membre de l’OII, a en effet évoqué leur situation. Les intersexes sont des individus nés – entre 0,05% et 1,7% de la population mondiale – avec des caractéristiques sexuelles ne correspondant pas entièrement aux catégories mâle ou femelle, ou appartenant aux deux en même temps. Les docteurs conseillent aux parents des interventions médicales, chirurgicales ou autres, sur ces enfants, afin que leurs corps soient conformes  aux caractéristiques mâle ou femelle. Dans la majorité des cas, les interventions ne sont médicalement pas nécessaires et peuvent avoir des répercutions terriblement néfastes sur ces personnes tout au long de leurs vies (stérilité, incontinence, perte de sensation des organes génitaux, douleurs physiques et souffrances mentales). Pour Kris Günther, ces chirurgies non sollicitées et sans nécessité médicale doivent être interdites et ce, par le biais de la législation, en vue de leur nature irréversible et de leur atteinte à l’intégrité corporelle, à l’autonomie physique et à l’autodétermination des personnes. Il est également important que les enfants intersexes et leurs familles reçoivent des conseils et un soutien adéquats, y compris de leurs pairs.

Nicole Gallus, professeure à l’ULB, avocate et juriste a ensuite présenté la nouvelle loi aux participant.e.s. Avant 1980, les demandes de changement d’état civil étaient tout simplement rejetées au nom du principe « d’indisponibilité de l’État ». Aucune loi n’existait pour répondre à ces demandes. Un premier arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme va changer cette situation en soulignant la détresse des personnes transgenres et demandant au droit de ne pas laisser les personnes dans cet état de contradiction. Apparaît alors la loi de 2007 qui va permettre aux personnes qui ont subi une réassignation (suivi psychiatrique, traitement chirurgical et stérilisation) de mettre leur état civil en concordance avec leur vécu. Même si c’est un pas en avant, l’obligation de stérilisation va faire réagir la Cour européenne qui va la condamner, cette obligation constituant une violation de la vie privée et familiale. Avec la réforme de 2017, la loi belge va aller plus loin. Elle simplifie la procédure relative au changement d’état civil et supprime les conditions médicales. La procédure est maintenant ouverte à toutes les formes de transidentités. Autre point positif, la loi aborde la question de la filiation des personnes transgenres qui ont elles aussi droit à la parenté. La loi est donc une belle avancée pour les droits des personnes transgenres même si Nicole Gallus mentionne quelques regrets comme la confusion entre le sexe et le genre, la méfiance du législateur pour qui la transidentité reste quelque chose d’irréfléchi, le manque de solution pour les mineurs, les problèmes d’interférence entre la sécurité sociale et l’état civil… Avec une question qui se pose maintenant: est-ce qu’il ne faudrait pas aller plus loin et supprimer la mention du sexe sur les documents d’identité ?

Concernant cette mention du sexe, Angélique Point, secrétaire du Groupement des agents de la population et de l’état civil (GAPEC), a débuté l’après-midi en présentant le côté pratico-pratique de l’application de la loi pour les employé.e.s de l’état civil. Elle a exposé les deux volets de la loi : le changement de prénom et le changement de la mention de sexe. En bref, comment faire simple quand nous pouvons faire compliqué?

Pour le changement de prénom, elle est revenue sur l’importance de rappeler aux personnes transgenres qu’elles ont 60 jours pour remettre l’Arrête royal relatif à leur changement de prénom à l’officier de l’état civil. Passé ce délai de 60 jours, elles devront recommencer toute la procédure. Les deux volets de la loi impliquent deux démarches différentes. Même si elles sont introduites en même temps, elles n’aboutissent pas au même moment. Les personnes transgenres vont dès lors faire les frais de deux cartes d’identité, de deux permis de conduire… Comment résoudre ces délais différents? Il n’y a malheureusement aucune solution, les démarches s’effectuant auprès de deux institutions distinctes (état civil pour changer la mention du sexe et le ministère de la justice pour changer le prénom).

La fin de la journée était enfin consacrée aux services pouvant soutenir les victimes de discriminations liées à l’identité de genre.

A commencer par l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes représenté lors du colloque par Françoise Goffinet. Créé en décembre 2002, l’Institut est l’institution publique fédérale qui a pour mission de garantir et de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes et de combattre toute forme de discrimination ou d’inégalité fondée sur le sexe. L’Institut reçoit les plaintes et accompagne les victimes de discrimination en justice, il effectue des recherches de façon indépendante (être transgenre en Belgique) et formule des avis et des recommandations pour les politiques. Toute personne transgenre victime de discrimination ou qui souhaite des informations sur ses droits peut contacter l’Institut.

Deux services de la province de Luxembourg se tiennent également à la disposition des personnes transgenres et de leurs proches.

Pour les victimes de discrimination, elles peuvent prendre contact avec le Service d’Aide aux Justiciables de l’arrondissement judiciaire de Neufchâteau situé à Libramont. Comme présenté par Ophélie Bourguignon, l’ASJ Luxembourg accompagne les victimes d’infraction pénale qui sollicitent une aide, en toute autonomie, dans un cadre confidentiel et gratuit. L’aide psycho-sociale s’adresse non seulement aux victimes d’infraction pénale et à leurs proches, mais aussi aux justiciables incarcérés ou non et à leurs proches.

Enfin, les Centres de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes qui sont ouverts à toute question liée à la vie sexuelle et affective. Il s’agit de lieux d’accueil où toute personne peut trouver un soutien, une aide sociale, psychologique, juridique, familiale. Les entrevues se font à Libramont, Marche ou Arlon en toute confidentialité et dans le respect des convictions de chacun. En fonction de l’information recherchée, les personnes sont accueillies par : un.e médecin, un.e gynécologue, un.e assistante social.e, un.e conseillèr.e conjugual.e, un.e psychologue ou un.e infirmièr.e social.e.

Pour conclure cette journée riche en informations, Ingrid Glusmann, coordinatrice régionale du CAL/Luxembourg, a soulevé l’importance du maillage associatif pour faire avancer la société vers plus d’égalité, de liberté et de solidarité. Même si il y a des avancées en ce sens, la vigilance des acteurs de terrain reste de mise ! Enfin, elle a évoqué l’importance de se rencontrer, dans nos singularités et nos différences, pour casser les préjugés.


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